Travail flexible et protection sociale

HR Today

La flexibilité est la principale raison pour laquelle certaines personnes travaillent en passant par une plateforme. Selon une enquête de l'Office fédéral de la statistique, les trois principaux facteurs qui motivent une personne à utiliser une plateforme sont la perspective d'un revenu supplémentaire et la flexibilité du travail en termes de temps et de lieu.

Ces prestataires de services sont-ils indépendants ou non? La question est au centre des discussions actuelles. Les critères de qualification du contrat de travail en vigueur dans notre monde du travail numérisé ne garantissent plus, selon moi, une délimitation valable entre les contrats de travail et les autres contrats de services. Les critères utilisés par les tribunaux pour rendre leurs jugements ne sont plus adaptés aux défis du monde du travail numérisé.

On peut donc se demander dans quelle mesure il est pertinent de focaliser le débat sur la dichotomie entre les contrats de travail et les autres contrats de services. La discussion se poursuivra sur cette ligne de démarcation tant que la protection sociale sera assurée principalement par le droit du contrat de travail classique. Les outils classiques de la protection du travailleur et de la sécurité sociale n'ont qu'un effet partiel sur le travail de plateforme. Il n'est toutefois pas indispensable de maintenir la grande différence actuelle entre les travailleurs et les autres prestataires de services. La question centrale ne devrait donc pas être de savoir si les plateformes sont des employeurs ou non, mais plutôt comment garantir une protection pour l'ensemble des prestataires de services contre les risques sociaux tels que les accidents ou la vieillesse?

Des approches innovantes, qu'elles soient nouvelles ou perfectionnées, sont requises pour conjuguer flexibilité et protection sociale. Ces approches doivent permettre l'émergence de plateformes innovantes en garantissant des conditions de travail équitables et en respectant la législation en vigueur. Deux solutions me paraissent pertinentes: la protection juridique via le partenariat social et le transfert du modèle de travail temporaire à l'économie de plateforme.

Protection juridique par le partenariat social

En raison de leur proximité avec les entreprises et les travailleurs, les partenaires sociaux sont prédestinés à relever les défis du nouveau monde du travail. À ce titre, il est important d'encourager les organisations d'employés et d'employeurs à trouver un partenariat social représentatif du côté des travailleurs et à augmenter le taux de couverture de la CCT. L'apparition de nouvelles formes de travail et d'activité a souvent lieu hors du partenariat social. Le principal défi pour le partenariat social sera d'accompagner les changements structurels impliqués par la numérisation et de veiller à soutenir la capacité d'innovation et la compétitivité de la Suisse tout en protégeant et en encourageant les travailleurs, sans les surcharger. Lors de l'ajustement du cadre institutionnel au nouveau monde du travail, le partenariat social devrait s'orienter tant vers l'augmentation de la compétitivité des entreprises que vers les besoins immédiats des travailleurs.

La négociation des aspects flous du nouveau monde du travail est liée au droit du travail. L'infériorité de l'individu est compensée par le collectif et la stratégie collective. La négociation collective et la conclusion d'une convention collective de travail permettent une participation à bas seuil et démocratiquement légitimée à la définition des conditions de travail.

En raison de l'émergence de nouvelles formes de travail et d'activité, il est parfois difficile pour les partenaires sociaux de savoir s'il s'agit ou non d'un travail indépendant. La question de savoir si les personnes assimilées à des travailleurs peuvent également être placées sous la protection d'une convention collective de travail est controversée. Dans la pratique, notamment dans le secteur ICT et de la logistique, on voit des approches avec des packs de prestations spécifiques mis à disposition par les partenaires sociaux pour les indépendants. Ainsi, en mai 2022, Deliveroo a signé en Grande-Bretagne un accord historique avec le syndicat GMB Union sur la reconnaissance du syndicat pour plus de 90 000 livreuses et livreurs du service de livraison de repas. L'accord tarifaire volontaire prévoit que GMB accorde aux livreuses et livreurs le droit de négociation collective sur les salaires et de consultation sur les avantages sociaux ainsi que d'autres sujets, y compris la santé, la sécurité et le bien-être des travailleurs. GMB représentera les livreurs et livreuses affiliés à GMB en cas de litiges, ce qui leur donnera une voix plus forte. Cet accord reconnaît les livreurs Deliveroo comme indépendants après qu'une série de décisions de justice britanniques ont confirmé ce statut.

Ces conventions collectives constituent une approche innovante pour les travailleurs indépendants du secteur des plateformes. Les organisations professionnelles des actifs indépendants (ingénieurs, informaticiens, etc.) pourraient devenir des partenaires sociaux qui proposeraient à leurs membres des prestations sur mesure qui défendent les intérêts spécifiques de ces personnes vis-à-vis des employeurs et qui mènent le dialogue entre partenaires sociaux. Le partenariat social peut ainsi garantir la flexibilité et la sécurité sociale pour de nouvelles formes de travail et d'activité.

Transfert du modèle de travail temporaire à l'économie de plateforme

La loi sur le service de l'emploi pertinente pour le secteur du placement de personnel privé pourrait occuper une fonction clé dans le développement du travail de plateforme, puisqu'elle réglemente le travail temporaire. Le travail temporaire est une forme de travail flexible qui repose sur une structure contractuelle triangulaire. Les prestataires de services de l'emploi et les travailleurs sont liés par un contrat de travail. La société de services de l'emploi est ainsi l'employeur légal du travailleur. Elle assume toutes les tâches RH concernant l'engagement. Dans le cas du travail temporaire, la couverture complète en matière de droit du travail et de sécurité sociale des travailleurs temporaires en fait partie. Ces derniers mettent leur force de travail au service d'une entreprise locataire. Sa compétence d'instruction est stipulée dans le contrat de location de services conclu entre les prestataires de services et l'entreprise locataire. La compétence RH des prestataires de services de personnel permet d'engager des collaborateurs à court terme, de manière flexible et simple.

Ce modèle en vigueur peut être transféré à l'économie de plateforme. Concrètement, une plateforme conclut un contrat de travail avec les crowdworkers qui garantit une protection en matière de sécurité sociale et qui est soumis à la CCT pour le travail temporaire en vigueur ainsi qu'à la loi sur le service de l'emploi et la location de services (mise en œuvre par les plateformes Adia et Coople responsable des crowdworkers au titre d'employeurs). Cette solution a un potentiel d'avenir et constitue une option intéressante pour les plateformes qui évoluent dans un domaine juridiquement flou.

Une modernisation ponctuelle de la loi sur le service de l'emploi est toutefois nécessaire afin de permettre de nouveaux modèles de travail et de mieux protéger ces formes. Cela pourrait être mis en œuvre en supprimant l'obligation rigide de la forme écrite (introduction d'une signature numérique) et par un aménagement plus flexible des horaires de travail.

Cette approche serait plus judicieuse plutôt que d'entraver les modèles commerciaux des plateformes et renvoyer toutes les personnes concernées au travail au noir ou à l'indépendance sans protection sociale. La flexibilité et la protection sociale ne doivent pas s'exclure l'une de l'autre.


Isabelle Wildhaber, LL.M., est professeure ordinaire en droit privé et économique, notamment en droit du travail à l'Université de Saint-Gall et directrice de l'Institut de recherche sur le travail et les mondes du travail à l'Université de Saint-Gall (FAA-HSG). Elle est déléguée du recteur pour l'égalité, la diversité et l'inclusion et présidente de la commission pour l'égalité des chances à l'Université de Saint-Gall.

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